Aborigènes et agriculture, au premier abord ces deux termes ne semblent pas aller de pair. En effet, quand on pense aux aborigènes, australiens notamment, on pense à un peuple vivant dans le désert, plutôt chasseur cueilleur. Notre imaginaire a été façonné par ces reportages sur ce peuple vivant dans le dénuement le plus complet, dans un environnement désertique. Pourtant, cet aspect des aborigènes ne correspond pas à la réalité de ce qu’ils furent.
Je viens en effet de lire un excellent livre “Dark Emu” (l’émeu noir, en français). Ce livre (en anglais non traduit en français malheureusement pour les non anglophones), écrit par Bruce Pascoe, nous dépeint une civilisation étonnante, très différente de ce qu’on imagine.
Un peuple d’agriculteurs
Les aborigènes tels que nous les voyons aujourd’hui, sont les restes d’une civilisation anéantie par les occidentaux et qui en a presque oublié son passé. On connaît les dégâts causés par la rencontre brutale, dans tous les sens du terme, entre la civilisation européenne et les peuples premiers. Décimation due aux maladies, aux massacres, à l’esclavage… Puis destruction des cultures vivrières, dissolution culturelle progressive par l’introduction de valeurs marchandes délétères… Pourtant, l’Australie est pleine des traces d’une civilisation agricole. Cette agriculture était bien sûr très différente de ce qu’on peut imaginer. En effet, les aborigènes cultivaient des plantes pérennes pour la plupart. Ces plantes avaient des périodes de dormance durant la saison sèche. L’agriculture vivrière pratiquée ressemblait plus à une gestion de l’existant, plutôt qu’à une modification des milieux, telle que le pratique l’agriculture européenne.
Les aborigènes connaissaient les plantes de leur terroir. Celles-ci étaient parfaitement adaptées au climat rude de l’Australie. Elles leur garantissaient une bonne autonomie alimentaire et permettaient de nourrir une population importante.
Les cultures européennes
Les européens ont apporté leurs plantes d’Europe, des plantes inadaptées au climat australien. On les a fait pousser à grands renforts de destruction des milieux, de technologie, d’irrigation, d’engrais… Les conséquences de ces modes culturaux sur l’environnement australiens sont sérieuses. Et force est de constater que la plupart des plantes cultivées en Australie pour nourrir les australiens sont juste inadaptées. Ce livre fait état de très nombreuses plantes nourricières endémiques de l’Australie. Mais voilà, plus grand monde ne les connaît. Il y a donc un travail immense pour tirer le meilleur parti de ce patrimoine. Il faut apprendre à cultiver ces plantes, mais surtout, à les faire consommer par les australiens, et ça, c’est une autre paire de manches !
Une agriculture adaptée
L’agriculture que pratiquaient les aborigènes était très différente de celle pratiquée par les européens. Elle était d’abord collective, tout le clan travaillait ensemble. Mais chaque aborigène se considérait comme fil de la Terre, il la respectait donc et en prenait grands soins. Les aborigènes étaient attentifs à protéger leur terre car bien conscient de sa fragilité face au climat local. Ils jardinaient leurs paysages, car leur survie en dépendait. Il y avait une véritable gestion écologique des écosystèmes. D’ailleurs, si les pères de la permaculture étaient australiens, ce n’est pas un hasard. Bill Mollison et David Holmgren s’étaient immergés dans les cultures aborigènes avant de mettre en place leur philosophie sur la permaculture.
Les violents incendies qui ravagent l’Australie en ce moment inciteront peut-être à se poser les bonnes questions. Et si ce savoir faire aborigène, cette façon intelligente de gérer le milieu pouvait être une réponse, un moyen d’atténuer les effets du changement climatique ? Beaucoup aujourd’hui franchissent le pas et l’affirment, comme l’historien australien Bill Gamage. Les aborigènes déclenchaient de petits feux de forêts, qu’ils géraient. Bruce Pascoe l’explique très bien dans ce livre. Le feu limitait la pousse des eucalyptus, très inflammables tout en apportant des nutriments au sol. Les aborigènes utilisaient le feu comme un outils de gestion du paysage et des cultures, et cela depuis des milliers d’années.
Les plantes nourricières australiennes
Les aborigènes cultivaient une graminée locale la kangarro grass (Themeda triandra), dont ils utilisaient les graines pour faire une farine nourrissante. Et qu’est-ce qui la fait germer ? Le passage du feu ou de très fortes températures… Ils cultivaient aussi le murnong (Microseris lanceolata) une vivace locale dont le tubercule est aussi nourrissant que la pomme de terre avec un goût de noix de coco. Ils cultivaient de nombreuses graminées, des racines variées, des fruits…
Ce livre passionnant à complètement changé la vision que j’avais des aborigènes. C’est un livre qui milite pour la redécouverte et la réhabilitation de ces cultures aborigènes méprisées, mais qui ont pourtant fait preuve de bien plus d’intelligence que nous dans la gestion de leur environnement… “Dark emu”, un livre à lire, à relire et à méditer…
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